LES ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES ONT EMPÊCHÉ L’ INTÉGRATION DU MARIAGE HOMOSEXUEL DANS LA CONSTITUTION.
Wim Leysens
Lors de l’approbation de la nouvelle constitution par référendum, le 24 février 2019, le mariage homosexuel avait disparu du texte. La proposition d’origine décrivait le mariage comme « une union entre deux personnes ». Comme justification de cette modification, les analystes se réfèrent aux violentes campagnes contre le mariage homosexuel par les églises évangéliques ultra-conservatrices. Que c’est-il passé ?
L’espoir était grand dans la communauté LGBT à Cuba en 2018. Le projet de nouvelle constitution décrivait le mariage comme « une union entre deux personnes » et plus comme « une union entre un homme et une femme », comme c’était le cas dans la constitution de 1976. La route semblait ouverte pour le mariage homosexuel. Le mouvement LGBTQ+ se sentait soutenu par le président Miguel Díaz-Canel, qui avait déclaré que « la reconnaissance du mariage entre deux personnes, sans limitations, résoudrait toute forme de discrimination ». Malgré cela, la constitution définitive se limite à la description du mariage comme « une forme possible d’organisation d’une famille, basée sur le consentement mutuel et sur les droits égaux, les devoirs et les possibilités légales des partenaires ». Cette description évite la mention « homme et femme » et laisse la porte ouverte à une légalisation du mariage homosexuel dans le futur. La précision sur qui peut se marier doit venir du « Código de familia » à établir dans une nouvelle version. Les autorités se sont engagées à organiser un large débat avec la population pour ce code de la famille et de le soumettre à un référendum d’approbation avant fin 2021.
La discussion publique.
Entre septembre et décembre 2018 l’autorité a organisé une très large consultation publique au sujet de l’ensemble du projet de la nouvelle constitution. Dans plus de 133.000 réunions dans les quartiers et les entreprises les Cubains ont débattu du projet de constitution. Le mariage homosexuel a été un des thèmes les plus discutés. Il a été abordé lors de 66 % des réunions, durant lesquelles les participants argumentaient pour et contre.
Mais -phénomène nouveau à Cuba- un débat animé c’est développé à côté des consultations organisées par l’autorité. Le mouvement LGBTQ+ était très actif sur facebook et d’autres médias sociaux (entre autres #mifamiliaesoriginal). Les groupes associés au CENESEX de Mariela Castro et des groupes autonomes ont organisé des stands et diffusé des feuillets sous le slogan « El diseño cubano – le modèle cubain), une réponse à la campagne des églises évangéliques.
Les églises protestantes sont divisées.
Le mariage homosexuel divise les églises protestantes, déclare Raúl Suárez, fondateur et éminence grise du Centre Martin Luther King. Le Concejo de Iglesias Ecuménicas, qui regroupe la majorité des églises protestantes , ne s’est pas opposé au projet de constitution. Selon Raúl Suárez les églises respectent « la liberté de chaque personne pour décider de sa vie, pour autant qu’elle serve l’intérêt commun ». 32 des 57 églises évangéliques appartiennent à ce conseil. Les autres églises défendent une vision ultra-conservatrice et défendent les « valeurs bibliques traditionnelles ».
Les églises évangéliques menacent de voter contre la nouvelle constitution.
Ces églises évangéliques s’opposent de façon très agressive au mariage homosexuel. En septembre ’18 une vingtaine d’églises évangéliques ont publié une lettre commune (2). Elle y confirment que « la famille est une institution sacrée, créée par Dieu ; que le mariage est une relation exclusive entre homme et femme, comme nous l’apprend la Bible, la Parole de Dieu ». Leur slogan était « el diseño origional, como Dios lo creó » (le projet originel, comme Dieu l’ créé).
Cuba est un état laïque, où les prises de position religieuses au sujet de thèmes politiques sont rares et se font toujours au sein du cercle fermé des églises. Mais les prédicateurs évangéliques ont porté leurs critiques dans l’espace public. Certains prédicateurs ont organisé la prière en plein air, à côté du temple, soi-disant que celui-ci était trop petit pour les nombreux croyants. Ils ont aussi invité les croyants d’afficher des pamphlets sur les poteaux d’électricité, les portes, les façades. D’autres parcouraient les rues avec une bible et des pamphlets (3). Le pasteur Eduardo Gutierrez (4) a organisé une confirmation publique de mariage avec des dizaines de couples, sur le Malécón de La Havane. Pour attirer les jeunes un rap-vidéoclip a été envoyé sur youtube (5), avec comme message « je ne veux pas cette dégradation dans mon pays, détruisons le mal aux racines, je veux que mon enfant grandisse dans un environnement heureux ».
En octobre 1918, 21 églises évangéliques ont lancé une pétition (6) contre l’article 68 du projet de constitution, avec comme objectif un demi million de signatures. Le nombre atteint n’est pas clair. Ce qui l’est, c’est la menace des églises évangéliques de faire appel à voter contre la constitution lors du référendum. Avec une base estimée à un million sur une population de 11 millions de personnes, les voix contre auraient pu marquer un effet négatif sur le large processus de consultation, sur la nouvelle constitution et sur le gouvernement.
Un manque de consensus.
Le gouvernement a-t-il rayé le mariage homosexuel dans la version définitive de la constitution sous la pression des églises (évangéliques)? L’autorité a-t-elle opté pour la sécurité, sachant qu’environ la moitié de la population, selon l’ Institut National de Statistiques, se dit chrétienne et supporterait une vision traditionnelle biblique de la famille ? Homero Acota, secrétaire du Conseil d’ État, a clarifié, le 21 décembre ’18, le point de vue modifié du gouvernement : « En ce qui concerne cet article, nous avons pris en considération tant les arguments des personnes en faveur du mariage homosexuel, que les arguments des opposants. La version antérieure (celle du projet) reste notre souhait, mais le temps n’est pas mûr pour l’introduire, car elle ne rassemble pas un consensus. Mais cela reste notre intention de le réaliser à l’avenir. Le Código de Faùmiolia sera soumis à un vote, ce qui est le plus démocratique ».
Les réactions du mouvement LGBTQ+.
Le mouvement LGBTQ+ a réagi en ordre dispersé. Les groupes liés au CENESEX ont accepté les faits. Ils mettent tout espoir dans la loi sur les familles, promise pour fin 2021. D’autres ont réagi de façon très déçues, même fâchées, comme dans des réactions sur facebook : « Le mariage homosexuel est un droit qui est déjà approuvé dans la Constitution… Art. 42, qui reconnaît la non-discrimination sur base du choix sexuel ou de l’identité de genre, et supprime toute base pour interdire que deux personnes, peu importe leur identité, se jurent une fidélité éternelle. La remise ne fait que donner raison à quelques petits groupes de pression religieux… ». Des blessures restent, comme on l’a vu le 11 mai 2019. Ce jour était prévu la 12e édition d’une gay pride, une initiative annuelle du CENESEX (Centre National d’ Éducation Sexuelle), dirigé par Mariela Castro. Le jour avant l’autorité a défendu la parade, à cause de la situation internationale compliquée (une référence à l’accroissement des mesures de blocus par les États-Unis). Malgré l’interdiction une centaine de personnes ont malgré tout organisé un défilé non-autorisé sur le Prado, dans la vieille Havane.
Sources :
http://palabranueva.net/new/obispos-cubanos-opinan/
https://ministerioreforma.com/evangelicos-en-cuba-reafirman-que-el-matrimonio-es-la-union-exclusiva-entre-un-hombre-y-una-mujer/
http://www.lajiribilla.cu/articulo/campana-callejera-en-la-habana-contra-matrimonios-homosexuales/
https://refelxionesdelpastor.com/iglesias-cristianas-en-cuba-protestan-en-contra-del-matrimonio-homosexual-y-la-ideologia-de-genero/
https://www.youtube.com/watch?v=vTLEQnqwYz8 https://www.notimerica.com/sociedad/noricia-iglesias-evangelicas-cuba-recogen-firmas-contra-legalizacion-matrimonio-homosexual-20181016214346.html
https://www.france24.com/es/20190512-choques-marchas-cuba-habana-lgtbi