CUBA SE TROUVE FACE A UNE NOUVELLE « PERIODE SPECIALE » ?
Wim Leysens – juin 2019
2018 a été une année difficile pour l’économie cubaine et pour le citoyen cubain. Le site web « Cubadebate » a même organisé un débat sur le thème du risque d’une nouvelle période spéciale. Depuis que le président Trump renforce sans cesse le blocus par les États-Unis, les conséquences pour Cuba ne manquent de se faire sentir. Cuba est obligé de se diriger vers des marchés extérieurs plus chers. A cause de ce surcoût les rares devises étrangères ne peuvent être utilisées au mieux. Plus de dépenses pour moins d’importations. Vu que Cuba importe annuellement pour plus de deux milliards de dollars d’aliments, les problèmes de paiement ont des conséquences énormes pour le consommateur cubain.
Rationnement des produits de base.
Les éleveurs de cochons dépendent grandement des importations de soya pour l’alimentation du cheptel. Par manque de devises fortes l’approvisionnement des stocks en a souffert l’année dernière. Conséquence : la production de viande a baissé de 20% dans le premier trimestre de 2019. Même histoire pour l’importation de blé, base du pain quotidien. D’autres produits de base comme les oeufs, le poulet, les saucisses, l’huile, le savon se font rares sur les marchés. Cette situation a mené à la prise de mesures indispensables pour une fourniture équitable pour tous, mesures introduites début mai par Díaz Velásquez, le ministre du commerce intérieur. Un exemple : la vente de viande de poulet, un produit de base importé, a été limitée à 5 kg par personne. Le règlement est aussi d’application pour le savon et des produits d’entretien. Pour garantir que chacun puisse acheter des produits de base comme les oeufs, le riz, les haricots bruns et les saucisses, priorité est donnée aux petits magasins de quartier, même si les prix restent libres.
Tout s’oppose !
La situation difficile actuelle ne tombe pas du ciel. La produit interne brut de Cuba ne c’est accru que de 1,2% en 2018, la moitié de l’objectif du gouvernement. La difficulté principale externe reste le blocus du pays par les États-Unis. Les rentrées du tourisme sont restées en dessous des espérances. Après la décision de Trump de lier le tourisme à partir des États-Unis à des conditions très strictes, le nombre de visiteurs américains a chuté de 6,8%. La décision du président brésilien Bolsonaro de ne plus faire appel à des médecins Cubains, a fait baisser les revenus des services médicaux internationaux. Mais la situation économique internationale complique également les choses. La politique « America first » de Trump et la guerre commerciale avec la Chine ont suscité l’insécurité sur les marchés internationaux. Cuba n’a pas échappé à cette dynamique qui a freiné les financements et les investissements étrangers.
Pourtant, de grandes injections de capitaux sont indispensables pour garder opérationnel et améliorer le parc de production industriel. Le nickel est un point fort traditionnel de l’économie cubaine. Mais, par manque de capitaux propres et d’investissements étrangers, la production est tombée de 72.000 tonnes en 2011 à 50.000 tonnes en 2018, et il faut y ajouter une baisse de 20% du prix de vente de ce produit les cinq dernières années. Afin de briser cette spirale négative, le gouvernement a investi ces deux dernières années deux millions de dollars dans la principale mine de nickel à Moa, la « Che Guevara ».
Le climat également a joué un rôle négatif en 2018. La sécheresse persistante, suivie de pluies diluviennes a donné une faible récolte de canne à sucre, près de 40% en moins que l’année précédente. Et l’ouragan Irma a causé d’importants dégâts à 24 usines sucrières, et le prix du sucre à chuté de près de 23% par rapport à l’année précédente.
Une balance de paiements précaire.
Le bilan final pour 2018 est très négatif : les revenus des exportations ont baissé de 12,6%, alors que les dépenses pour les importations ont augmenté de 2,9%, avec pour résultat un déficit estimé à 1.187 millions de dollars. Actuellement la dette totale de Cuba atteint 29,8 milliards de dollars, soit 30,4% du PIB. Par rapport aux normes internationales ce pourcentage est relativement faible, mais ceci ne s’applique pas à Cuba. Le pays ne peut pas emprunter des capitaux auprès du Fond Monétaire International ou auprès de la Banque Internationale pour le Développement. Il y a quelques années Cuba a négocié avec quelques créditeurs comme la France et l’ Espagne, pour un réajustement de la dette, dans l’optique d’une croissance de l’économie cubaine durant les années suivantes. Mais suite aux contretemps économiques les paiements convenus sont arrêtés en 2018, ce qui limite les effets positifs du réajustement. Le manque de liquidités n’a pas permis le paiement des 1,5 milliards de dollars de factures auprès des fournisseurs étrangers.
Est-ce que Cuba se trouve au seuil d’une nouvelle « période spéciale » ?
L’économie cubaine se trouve face à encore quelques années difficiles, avec une croissance du PIB estimée à à peine 1 à 2 %. pourtant on ne peut pas parler d’une nouvelle période spéciale estime José Luis Rodríguez, professeur et ex-ministre de l’économie. Après la chute de l’ URSS en tant que partenaire commercial, le PIB de Cuba avait chuté de 35% en quelques années ; ce n’est pas le cas actuellement. A l’époque tous les efforts se concentraient sur un maintien de la résistance et le sauvetage des programmes sociaux; les investissements étaient stoppés. Aujourd’hui Cuba continue à investir dans son développement, dans des secteurs clés comme les biotechnologies, les services médicaux, le tourisme, le nickel, etc.
Après la « période spéciale » l’économie a récupéré lentement jusqu’en 2008, quand la crise financière c’est manifestée. L’autorité a été obligée de ralentir la croissance économique et de se baser sur des revenus réduits. En 2011 le gouvernement a défini une nouvelle gestion économique, basée sur trois piliers. En premier lieu il faut rétablir un équilibre entre revenus et dépenses dans la balance de paiements. Ensuite il faut augmenter la productivité interne des entreprises. En troisième lieu il faut améliorer les conditions pour une croissance économique par de meilleures fournitures en énergie, en eau, en transports, en infrastructures, etc.
Une brève amélioration.
Ces mesures ont donné un effet positif, avec quelques développements internationaux positifs. Fin 2014 Cuba et le Venezuela renforçaient leur coopération économique. Le rapprochement avec les États-Unis sous le président Obama suscitait un climat de confiance. Un grand nombre de visiteurs américains donnait lieu à un boom du tourisme cubain. En suivant Obama plusieurs pays, de la France au Japon, s’intéressaient aux investissements à Cuba. Cuba en a profité et en 2015 le PIB c’est accru de 4,5%. Mais dès 2016 les problèmes ont recommencé avec la livraison du pétrole vénézuélien. L’économie cubaine connaissait une forte rechute et cette année la croissance était d’à peine 0,5%. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, début 2017, a signifié un désastre pour Cuba. Le rapprochement entre les deux pays est pratiquement annulé, et le climat positif international autour de Cuba baisse. Après 2016 la croissance annuelle de l’économie cubaine ne dépasse pas les 1,1%.
Des défis pour l’économie cubaine.
L’économie cubaine est restée trop longtemps et trop fortement dépendante du commerce avec un nombre limité de pays, comme l’ex-Union Soviétique ou le Venezuela. La gestion actuelle opte pour une extension vers la Chine, l’ Union Européenne et d’autres pays. Un autre défi est la diminution de la grande dépendance de l’importation d’aliments. Tout l’argent que le pays dépense pour l’alimentation disparaît littéralement dans les estomacs, et est perdu pour des investissements dans le développement. C’est la raison pour laquelle le pays opte maintenant pour des investissements dans des projets et des secteurs où le capital est récupéré le plus rapidement possible. Dans l’agriculture Cuba investi maintenant 800 millions de dollars en travaux d’irrigation qui doivent mener l’eau des montagnes vers des terres fertiles à Holguín et Guantánamo. Par ce genre d’investissements l’autorité espère diminuer l’importation d’aliments de 600 millions par an.
Autre mission, l’élimination des faiblesses internes. Trop d’entreprises ont des difficultés pour coordonner la chaîne des achats de matières premières, du transport, de la production et de la commercialisation. Un exemple positif est le secteur touristique, qui réussit à bien encadrer le touriste dans le domaine du logement, des repas, du transport, de la culture, du temps libre, etc. Ce qui réussit dans le tourisme doit aussi réussir dans d’autres secteurs, estime le Prof. Rodríguez. Mais cela exige la révision de la culture de planification, partant d’une entreprise, et moins du haut vers le bas. L’autorité expérimente avec une plus grande responsabilisation des entreprises, mais le processus est lent.
Sources :
Cubadebate, 02/03/19, José Luis Rodríguez.
Balance económico preliminar del 2018 . Cubadebate, 06/05/19, Cuba regresara a Periodo Especial ? ge�M����