Profondes réformes économiques à Cuba
Le lundi 20 juillet 2020 Cuba a ouvert 72 magasins où les Cubains peuvent acheter en « moneda libremente convertible » ou MLC, donc des monnaies étrangères comme l’euro, le dollar ou le peso mexicain, des produits de base comme de la nourriture ou des articles d’hygiène personnelle, mais aussi des appareils ménagers. Pour la première fois depuis des mois les Cubains ont pu voir des magasins avec des rayons remplis et une offre variée. Et le gouvernement assure que les rayons seront réapprovisionnés en suffisance. La boutique MLC est une des mesures par lesquelles le gouvernement espère surmonter la crise économique actuelle.
La pire crise depuis la « période spéciale »
Cuba se trouve face à la pire crise depuis la « période spéciale » des années nonante du siècle dernier. Avec la chute de l’ Union Soviétique disparut alors 70 % du commerce cubain. L’année dernière le gouvernement niait encore que l’on pouvait envisager une nouvelle période spéciale, car le pays est économiquement plus solide. Ceci n’empêche qu’aujourd’hui le problème des magasins avec des rayons vides et les longues files est plus importants que ce que la population connaît habituellement. Cuba a une économie très ouverte, très dépendante de l’étranger (tourisme, commerce, dette extérieure). De 2001 à 2018 la valeur des exportations a baissé de 60 %. Les prix du nickel et du sucre sont fort bas, et même la demande de cigares et de rhum recule. Par contre les prix des denrées alimentaires, que Cuba importe en grandes quantités, augmente. Ceci a suscité un déficit de la balance commerciale de 13 %, d’après les chiffres du Bureau National des Statistiques (ONEI, 2019). La situation est tellement grave que cette année Cuba a suspendu le remboursement de sa dette au Club de Paris. Bref, le budget national se trouve devant de grands découverts pour satisfaire les besoins des citoyens.
A côté des causes internes (faible productivité, bureaucratie, rapports déficients entre secteurs…) il y a trois causes externes importantes. Tout d’abord le blocus de plus de 60 ans que le président Trump a aggravé avec plus de 80 nouvelles mesures. Avec comme conséquence une frilosité chez les investisseurs étrangers, les 600.000 touristes nord-américains qui ne viennent plus (chiffre de 2018) et les banques internationales qui mettent fin à leur collaboration avec Cuba. La crise au Venezuela à pour conséquence la baisse à 30 % de la fourniture de pétrole en 2019, par rapport aux années précédentes, et les investissements de 7 milliards de dollars partis en fumée. Sur tout cela se greffe maintenant la pandémie du coronavirus. Cuba a totalement fermé les frontières pour le tourisme, une perte estimée à 1,8 milliards d’euros. Les remesas, l’argent que les Cubano-Américains envoient à leurs familles, diminuera de plusieurs millions à cause du chômage massif aux États-Unis. Bref, la CEPAL (Commission Économique pour l’ Amérique Latine et les Caraïbes) estime à 3,7 % la chute du BIP pour cette année.
Efficacité, compétitivité, offre et demande
Dans ces temps exceptionnels toute l’attention a été donnée ces derniers mois à l’endiguement du Covid-19, mais aujourd’hui l’autorité estime le temps mûr pour donner une impulsion nouvelle à l’économie. Le nouveau plan est basé sur neuf principes, dont certains surprennent. La planification centrale est maintenue, mais l’achat de marchandises et le financement continuent à être décentralisés, donnant plus d’autonomie aux entreprises qui peuvent ainsi produire plus efficacement. La concurrence entre entreprises est stimulée, en vue d’une utilisation plus efficace des moyens disponibles. Ceci signifie que les entreprises publiques doivent entrer en concurrence avec des entreprises autonomes, en général plus productives. Ce n’est plus l’offre qui est déterminante pour ce que le Cubain peut acheter, mais la demande doit devenir le facteur principal de ce que les entreprises produisent. En résumé, le commerce doit devenir la force conductrice du marché intérieur.
Pour réaliser ces principes tous les ministères ont été chargés de développer des mesures concrètes. La mesure la plus frappante du paquet est la possibilité d’acheter en dollars. Cuba fait face à un déficit croissant en devises fortes qui garantissent l’importation de biens d’investissement et d’alimentation. En légalisant le dollar comme moyen de paiement et en supprimant la taxe sur le change en dollars, le gouvernement fait appel aux ressources du Cubain moyen.
Le ministère du travail donnera un statut légal à la création de micro, petites et moyennes entreprises – tant publiques que privées. Maintenir un plafond salarial décourage l’effort des travailleurs, les salaires doivent dès lors plus se mettre en concordance avec la productivité, sans plafond. Pour les indépendants ou cuentapropistas il y a un assouplissement de la législation sur les licences qui fixent strictement les activités autorisées. Ces derniers mois ce groupe a prouvé pouvoir basculer avec flexibilité en produisant des masques protecteurs ou des ventilateurs pour la lutte contre le Covid-19. Cette créativité ne peut plus être freinée par une législation trop stricte.
Importer moins est certainement d’application pour la production alimentaire, qui reçoit une priorité totale pour les mois qui viennent. Les mesures annoncées restent provisoirement assez vagues, mais vont dans le sens d’une adaptation des coopératives agricoles, comme les fermes d’état UBPC et les « centros de acopio » qui ne réussissent pas l’achat et la mise sur le marché efficace des produits agricoles. Si le gouvernement déclare qu’il faut une meilleure harmonisation avec le secteur privé, il est possible que ces centres d’achat devront affronter une concurrence avec des entreprises privées. L’autorité envisage également d’attirer des investissements étrangers pour favoriser une hausse de la production alimentaire.
Ce qui se distingue également c’est que le gouvernement créé la possibilité pour les entreprises privées d’importer et d’exporter. Actuellement les importations et exportations sont aux mains de 37 entreprises publiques. Elles déterminent quels produits sont importés et les revendent ultérieurement. Très prochainement les entreprises privées pourront acheter des produits à l’étranger, toujours via une entreprise publique, qui touche une commission modeste. Le but est d’orienter les achats à l’étranger vers la production de produits de haute qualité destinés à l’exportation, de façon à ce que les dollars investis refluent. Autre possibilité : le produit importé est nécessaire pour la production de produits essentiels pour le marché intérieur.
Réformer dans l’intérêt public
Concurrence, compétitivité, commerce en tant que force dirigeante de l’économie intérieure, tous des termes qui cadrent dans une logique capitaliste. Mais, différence fondamentale, à Cuba le but final n’est pas le profit mais l’intérêt général. Dans son intervention du 19 juillet Díaz-Canel a souligné que l’ensemble des mesures s’insère dans le plan pluriannuel 2030 approuvé auparavant et dans le plan socio-économique approuvé par le PCC et par le gouvernement, centré sur l’accroissement de la production nationale et de la diminution de la dépendance des importations.
Mais le gouvernement se rend bien compte que spécifiquement les magasins MLC ne sont accessibles que pour un segment limité de la population, ce qui a immédiatement suscité des réactions critiques. Et quoi pour les Cubains qui n’ont pas accès au dollar ? Le président Díaz-Canel avait prévu les réactions, en insistant lors de l’annonce des mesures sur le fait qu’elles sont destinées au bien de tous. Même si cela nécessite un détour. Le gouvernement mettra tout en oeuvre pour approvisionner en suffisance les magasins où l’on paye en CUC ou en CUP, certainement pour les produits de base comme le poulet, le riz, le lait en poudre, ou les articles d’ hygiène personnelle. Et le paquet minimal de riz, de haricots, de poulet pour chaque citoyen reste garanti avec la libreta (livret de rationnement). Mais il a ajouté qu’il est indispensable d’offrir une certaine quantité de produits en devises fortes. Au plus de dollars que nous pouvons faire rentrer via les magasins MLC, au plus de dollars nous pouvons dépenser pour l’achat de produits de base pour tous, voilà le raisonnement. Díaz-Canel a rappelé que durant toutes ces années la Révolution a prouvé que la justice sociale est une de ses grandes valeurs. « Dans notre pays personne ne reste sur le bord de la route. C’était ainsi, c’est ainsi et cela sera toujours ainsi ».
Appel à la population : méfiez vous de nos ennemis
Ce sont des temps difficiles et les pénuries dans les magasins ne disparaîtront pas tout de suite. Le président Díaz-Canel a par conséquent prévenu la population de ne pas se laisser abuser par les ennemis de Cuba. Ils profitent de toute occasion pour discréditer les autorités. Pour eux les longues files d’attente devant les magasins sont une preuve de la basse qualité de vie de la population. La précarité est pour eux la faute du gouvernement. Ils cherchent sans cesse des thèmes pour semer le doute et la division parmi la population. Maintenant également ils s’accaparent des magasins MLC pour parler « d’apartheid économique ». Mais « comment peut on parler d’apartheid dans un pays ou le gouvernement s’occupe quotidiennement de la question comment rendre accessibles à tous la majorité des produits », demande Díaz-Canel.