LA RÉVOLUTION CUBAINE EST LA POUR TOUS : VOYANTS ET AVEUGLES.
Róger Calero – Septembre 2018
Le cinéma avec audio-description facilite l’accès à la culture pour les aveugles et les mal-voyants.
LA HAVANE – En février j’ai entendu parler du film-club « Tocando la luz » (Toucher la lumière), qui se dirige vers les aveugles et les malvoyants à Cuba. J’ai alors visité le Infanta Theater pour aller voir le film « Café amargo » (café amer) en compagnie d’une cinquantaine d’aveugles et de voyants.
Le film date de 2015 et se déroule dans les
montagnes de la Sierra Maestra durant la lutte révolutionnaire en 1958. C’est
un des 92 films avec audio-description produits à ce jour pour « Tocando
la luz » par l’ Institut Cubain de l’ Art et de l’ Industrie
Cinématographique (ICAIC).
« Tocando la luz » est une initiative conjointe de l’ ICAIC et de l’
Association Nationale des Aveugles et Mal-voyants (ANCI). L’expérience a
commencé il y a sept ans à La Havane et s’étend maintenant aux autres
provinces.
L’audiodescription est une technique utilisée pour décrire des scènes de films qui se déroulent entre les dialogues toucher au ressenti artistique. Dans les rares pays capitalistes où des films avec audiodescription sont disponibles, les malvoyants doivent s’équiper d’écouteurs spéciaux dans la salle de cinéma. A Cuba les voyants et les malvoyants écoutent ensemble la même bande son. Le commentaire est souvent enregistré par des acteurs connus, qui jouent des séries dramatiques à la radio cubaine.
Jorge Gonzalez Frometa, qui a lancé le projet, me déclare : « Chacun est bienvenu, beaucoup de gens viennent avec la famille et des amis.
« Quelle magnifique entreprise », déclare Marisabel Tamayo, devenue aveugle à 8 ans. »J’ai toujours aimé le cinéma. Avant j’y allais avec ma maman, qui me murmurait dans l’oreille ce que je ne pouvais pas voir. Maintenant ma maman n’est plus là, mais j’ai ce ciné-club ».
« Grâce à ce ciné-club nous revenons parmi les gens, et nous ne restons plus isolés à l’intérieur », dit Juan Osborne. Il a 62 ans et est devenu aveugle suite à un accident de la circulation en 1984. Il travaille comme jardinier et technicien de réhabilitation pour les aveugles. Il participe également à une troupe de théâtre « Sin bastón » (sans bâton).
Une fois par mois les amateurs peuvent profiter d’une projection avec audiodescription, et en été on programme neuf films supplémentaires. Plusieurs genres sont présentés, des classiques cubains contemporains aux classiques. Au club on peut consulter la liste de programmation en Braille, avec un commentaire. La majorité des films sont cubains, mais il y en a aussi d’Argentine, du Mexique et d’Espagne. Les films nord-américains sont exclus, à cause des droits d’auteurs très élevés et l’impossibilité de les acheter à cause du blocus contre Cuba.
La production de films avec audiodescription est onéreuse, et est largement subsidiée par l’état cubain. Les entrées de la séance à laquelle j’ai assisté n’ont pas pu rapporter plus de 20 dollars. Un ticket coûte 10 centimes de dollars, et les membres de l’ANCI payent demi-prix.
Un acquis de la révolution cubaine.
Durant la guerre et après la victoire de la révolution en 1959, renversant le dictateur Batista soutenu par les États-Unis, le Mouvement du 26 juillet et l’armé rebelle, dirigés par Fidel Castro, ont lutté pour la participation de tous les travailleurs à la direction du pays. Et on a lutté pour permettre aux Cubains de sentir dans leur vie quotidienne les résultats de leurs luttes.
Tamayo déclare : « Nous avons toujours lutté pour appartenir à la vie sociale ». Elle décrit les progrès réalisés en accès à l’enseignement et à l’emploi pour les aveugles et les gens avec d’autres handicaps. « Avant la révolution il n’y avait aucun intégration sociale pour les aveugles, ni popur les pauvres », ajoute-t-elle.
L’extension aux millions de travailleurs et de paysans à l’enseignement et à la culture était un souci central pour les changements révolutionnaires. Ce processus a été soutenu par la campagne de masse pour l’alphabétisation en 1961, où des milliers de travailleurs des villes et des campagnes étaient associés. Les syndicats et d’autres organisations de masse ont intégré la campagne d’alphabétisation dans les nombreuses initiatives développées par les ouvriers et les paysans afin de contrôler leurs vies et leur avenir, comme par exemple la réforme agraire et la lutte pour un emploi pour tous.
Ces efforts ont été la base pour de nouveaux projets populaires, comme la réouverture du Ballet National (fermé sous Batista) et le foisonnement de bibliothèques, de librairies, de galeries d’art, de cinémas, de troupes de théâtre, de chorales et de centres culturels locaux. Et à chaque occasion la révolution a lutté pour y associer les Cubains handicapés. Toucher la lumière en est un bel exemple.
Enseignement spécial pour handicapés de la vue.
Tamayo déclare : « En 1959 il n’y avait qu’une école spéciale pour les aveugles. Maintenant il y en a 15, une dans chaque province ».
« Les aveugles te les mal-voyants sont réputés pour une bonne audition, et on nous a invité à développer une formation spéciale. Pour moi cela a signifié le début d’une carrière de 41 ans comme accordeur de pianos. Durant les années ’70 le nombre d’école d’art et de musique a été augmenté rapidement, et on manquait d’accordeurs ». Tamayo a fait partie de la campagne pour l’extension de la connaissance du Braille, une des trois campagnes lancées par le gouvernement révolutionnaire.
Depuis 2012 l’ ANCI dispose d’un stand à la Foire Internationale du Livre à la Havane. Malgré les problèmes économiques que le pays doit affronter, l’organisation a publié cette année 19 livres en Braille et 2 livres audio. Ils sont tous disponibles gratuitement. Chaque année l’ ANCI fait une enquête sur les désirs de lecture de ses membres, et décide ce qu’on va publier.
Aux États-Unis par contre il y a une crise dans la connaissance du Braille, due aux limitations imposées par le gouvernement et d’autres attaques contre l’enseignement public. 40 à 50% des étudiants aveugles ne terminent pas leurs études secondaires, et seulement 32% des aveugles ont un emploi.
Après mon retour à New York j’ai, parlé avec Juanita Young de mes expériences à Cuba. Depuis des années elle lutte contre les violences policières. Il y a plusieurs années elle a développé un handicap visuel.. Elle m’a parlé d’un camp pour handicapés visuels d’été auquel elle a participé : « 80% des films projetés n’avaient pas d’audiodescription. Surtout les plus récents. Ils disent qu’il n’y a pas de budget pour ça. Je préfère encore voir un vieux film avec audiodescription et le revoir mille fopis, plutôt que des films dont je ne comprend rien ».
Toucher la lumière a été étendu récemment à la province de Granma, dans l’est de Cuba. Frometa, responsable du projet, a déclaré : « Il est impossible de ne pas jouir de droits à cause du lieu d’habitation. Dans une petite ville de la province de Granma ce projet a l’allure d’un festival ».
Ajoutons y qu’à Cuba il y a des tournois nationaux d’échec et de dominos pour les aveugles et les malvoyants, sans oublier les compétitions de baseball.
Traduit de The Militant du 19 mars 2018 : www.themilitant.com/2018/8211/821150.html, en néerlandais par Agnes Hollanders et Erik Wils, en français par Freddy Tack NxPU9g�]����