LE BIEN-ÊTRE A CUBA : UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE.

LE BIEN-ÊTRE A CUBA : UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE.

Wim Leysens – Mars 2018

Les efforts actuels à Cuba pour renforcer la base économique du pays, ont aussi une influence sur la gestion du bien-être à Cuba. Durant plus de cinquante ans on a choisi l’idéal d’une égalité sociale. Où se trouvent les défis aujourd’hui? La docteure Angela I. Peña Farias a effectué une étude à ce sujet.

Dans tous les pays le bien-être social de la population est le résultat d’un ensemble, entre l’accès au travail et un revenu, le soutien de la famille et des réseaux sociaux, et les services sociaux de l’autorité. Dans nos sociétés occidentales le bien-être social dépend essentiellement de l’emploi, et est donc soumis aux fluctuations du marché du travail, complété d’une régulation stricte par l’autorité. Dans des pays moins solides économiquement, la famille est souvent un soutien social important, et c’était aussi le cas à Cuba avant la révolution de 1959. Un nombre limité de travailleurs des secteurs privés et étatique étaient affiliés à plus de 50 caisses de pensions, financées par les contributions des employeurs et des travailleurs.

Après 1959 l’autorité a développé une vision plus intégrale : la sécurité sociale signifie une amélioration des conditions de vie et du bien-être matériel, l’égalité, et de relations basées plus sur les relations sociales et solidaires. L’accès à la sécurité sociale ne peut plus dépendre du revenu ou des contributions à la sécurité sociale. Une des premières mesures fût alors de supprimer les contributions des travailleurs aux fonds de pension (1963). Le but de l’autorité était d’offrir à tous les citoyens un travail décent, soit un taux emploi à 100%. En 1975, sur base de l’insistance du syndicat (CTC), l’autorité a reconnu le droit à un soutien financier pour tous ceux qui sont en incapacité de travailler. Pas à pas on a alors établi, dans les années suivantes, des systèmes de sécurité sociale pour les personnes handicapées, les malades,, les personnes vulnérables. L’autorité s’estimait le principal garant du bien-être social de tous les citoyens : l’état assure un revenu, l’enseignement, les soins de santé, les prix subsidiées de nourriture, ,un revenu de remplacement pourt ceux qui ne peuvent pas travailler. Les avantages sociaux sont accessibles à tous les citoyens, que l’on ai du travail ou non, un bon revenu ou non. Même si la famille a traditionnellement toujours joué un rôle, elle était considérée comme complémentaire à l’état.

Avec la disparition du bloc socialiste Cuba plonge dans une grave crise économique dans les années ’90. Et pour la première fois le système social est sous pression. L’autorité tient à sa vision intégrale du bien-être social, mais des modifications formelles et informelles surgissent. Lors d’une session spéciale le parlement cubain décide d’assainir les finances publiques. La réintroduction d’une cotisation pour la sécurité sociale par les travailleurs est acceptée en principe, mais vu les circonstances difficiles le parlement ne pouvait que se concilier avec une application progressive. La situation économique difficile a ouvert la porte au travail indépendant pour son propre compte. Les indépendants ont alors mis au travail des collaborateurs. Cette pratique n’était pas régulée légalement, et les indépendants et leurs travailleurs se trouvaient en fait hors sécurité sociale, et perdaient leurs droits pour un revenu de remplacement en cas de maladie, invalidité ou pension. La gestion sociale du gouvernement ne changeait pas en tant que tel, mais la situation changeait. De facto l’autorité perdait la responsabilité pour une partie, certes minime, de la population. Un glissement c’est produit, et l’obtention de nourriture suffisante et de biens de base, auparavant assurée par l’autorité, allait plus dépendre du travail et des revenus (le marché du travail), et de la portée matérielle et sociale de la famille.

La crise économique mondiale de 2007-2008 a aussi frappé Cuba, car le pays est fort dépendant des importations. La croissance économique stagnait. L’autorité devait de plus en plus faire face au défi de renforcer l’économie nationale et d’accroître son efficacité, afin de garantir durablement les acquis sociaux. L’autorité a fait son auto-critique en admettant avoir mené une gestion presque paternaliste en se chargeant de toutes les responsabilités. Comme les caisses de l’état ne peuvent plus faire face seules aux frais, des adaptations sont nécessaires, mais sans abandonner les acquis de la révolution comme le haut degré de scolarisation des jeunes grâce à l’enseignement gratuit, l’espérance de vie élevée et les bas chiffres de mortalité infantile grâce aux soins de santé, etc. Les services sociaux sont invités à travailler plus efficacement, et les citoyens reçoivent un message : « Les soins de santé sont gratuits pour vous, mais ont un coût (pour l’autorité) ». Avec le slogan « Nadie se queda desamparado » (personne n’est abandonné), le Parti Communiste de Cuba a lancé une large consultation parmi la population. Ceci a mené à l’approbation d’une nouvelle gestion économique et sociale : il faut augmenter les revenus des exportations et les importations doivent diminuer en produisant au niveau national des marchandises se substituant aux importations, la productivité nationale doit augmenter, les secteurs sociaux doivent être organisés efficacement et à moindre coût, il faut rationaliser les entreprises d’état et les services publics et licencier les forces de travail excédentaires.

En 2011 la nouvelle loi sur le travail entre en vigueur et doit donner une nouvelle dynamique au marché du travail. Le slogan « le salaire selon le travail » défie les travailleurs à assurer leur avenir. Des adaptations salariales et des bonus liés à la production améliorent le pouvoir d’achat et stimulent les travailleurs pour une productivité accrue. L’autorité abandonne le principe de l’emploi à 100%, et cherche des solutions pour plus d’un million de travailleurs excédentaires dans les entreprises publiques et l’administration. Les Cubains sont encouragés à se mettre au travail pour leur propre compte. En à peine cinq ans le nombre d’indépendants passe de 228.000 en 2010 à plus d’un demi million en 2015. Une nouvelle loi de 2012 élargit la refonte des impôts, et plusieurs groupes professionnels sont soumis au paiements d’impôts. Il s’agit de ceux qui gagnent un salaire élevé à l’état (plus de 2.500 pesos ou 100€à, les paysans indépendants, les propriétaires de maisons, etc. La quote-part des impôts personnels est ainsi passée de 1% à 6% en 2015. Mais les plus gros financiers du budget de l’état restent les entreprises publiques avec 75%.

Conséquence : le citoyen travailleur et sa famille portent plus qu’auparavant une responsabilité pour leur propre bien-être social, qui devient ainsi de plus en plus dépendant du salaire personnel, d’une aide éventuelle de la famille à l’étranger, de la base sociale et économique de sa famille. En ce qui concerne le financement du système social, Cuba évolue graduellement d’un système organisé et financé centralement par l’état, vers une responsabilité partagée.

Indirectement aussi la famille apporte plus à son propre bien-être. L’autorité voudrait quitter la gestion de prix subsidiés pour la nourriture et les biens de consommation, un avantage dont profitent tous les Cubains, pour concentrer sa gestion sociale vers les groupes les plus vulnérables. Sur les marchés libres locaux les prix des aliments sont maintenant fixés sur base de l’offre et de la demande. Cette évolution ne s’est pas fait sans grognements contre les prix plus élevés. L’état est alors intervenu et alimente les marchés de l’état avec des produits de base subsidiés. La libretta reste en service provisoirement et chaque Cubain reçoit encore toujours un paquet de base en alimentation (huile, riz, haricots, viande, etc.) à des prix très bas.

Cette évolution va de pair avec quelques défis importants. Il y a tout d’abord le vieillissement de la population, c qui entraîne des frais plus élevés pour la santé et les soins. Parallèlement Cuba, comme les sociétés occidentales, connaît une natalité très basse, et un groupe de population active  réduit doit supporter un groupe de non)actifs croissant. Comment payer les pensions? n’est pas une question importante qu’en Belgique. Ainsi, il y a cinq ans, l’âge de la pension a été porté à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes.

Les évolutions récentes, commencées en fait dès les années ’90, ont suscité de plus grandes différences sociales parmi la population. L’autorité admet que pour le moment l’économie nationale est trop faible pour augmenter fortement le pouvoir d’achat des travailleurs du secteur public. Celui qui, par contre, dispose de revenus en devises fortes via le tourisme ou via sa famille à l’étranger vit confortablement à Cuba, car ce groupe profite aussi des avantages sociaux comme l’enseignement et les soins de santé gratuits. Un autre facteur qui joue, c’est que tout le monde ne s’adapte pas aussi facilement à ce nouvel ordre économique, et le risque que certains ratent le coche s’accroît. Ce qui exige de l’état d’être plus attentif aux groupes vulnérables.

Le professeur Reynaldo Jimenez, directeur de FLACSO-CU et récemment en Belgique, invité par la Haute École Charlemagne, est d’avis que Cuba « reste une société solidaire ». Il voit des opportunités dans ce que nous appellerions la responsabilité sociale des entreprises. Des coopératives agricoles fournissent traditionnellement une partie de leur récolte aux hôpitaux et aux écoles de leur région. Dans le même esprit de solidarité il doit être possible d’encourager les coopératives non-agricoles et les indépendants de fournir gratuitement leurs services aux plus faibles. Ceci n’est pas utopique. Dans son quartier Reynaldo connaît un coiffeur indépendant qui coiffe gratuitement des personnes âgées isolées. Il forme aussi des jeunes pour le métier, afin qu’ils puissent se lancer comme indépendants. Un autre exemple est celui d’un salon de lavage, géré par une coopérative, gratuite pour les personnes vulnérables. Et il y a d’autres exemples, et Reynaldo soutien des initiatives de formation à partir de l’université, pour encourager cette forme de solidarité.

Les défis existant sont fondamentaux pour Cuba conclut la Dra. Angela I. Peña Farias. Est-ce que les différences sociales croissantes sont la fin de la société solidaire ou égalitaire? Y a-t-il un danger que la société s’habitue aux inégalités et à la pauvreté, et les considère comme « naturelles »? Ceci représenterait un coup dur pour le projet humaniste de la révolution! Beaucoup dépendra de la réussite des autorités dans le projet d’augmenter la base économique du pays.

Source : Dra. Angela I. Peña Farias. Regímenes de bienestar en Cuba. Notas para discusión en Cuba en el contexto de América Latina y el Caribe. FLACSO-CU, 2017.

& Interview de Reynaldo Jimenez, Anvers, 2018. nV�M�^ǀ

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