COMMENT LES CUBAINS FONT LEURS ACHATS A L’ÉTRANGER.

COMMENT LES CUBAINS FONT LEURS ACHATS A L’ÉTRANGER.

Wim LeysensDécembre 2018

« Bienvenue aux Cubains dans la zone de libre commerce de Colón ». Voilà ce que disait plus ou moins un spot publicitaire vu récemment, par hasard. Presque simultanément je lisais que la douane cubaine prévient au sujet de l’importation illégale de marchandises. Que ce cache-t-il derrière ces deux nouvelles?

Quelques recherches sur Google nous apprennent que la zone de libre commerce de Colón, au Panama, fait sa promotion en tant que « la » vitrine commerciale et plus important centre de distribution pour les acheteurs de l’ensemble du continent. Les 2.500 entreprises d’import/export, parmi lesquelles des grands noms comme Samsung, Pioneer, n’y payent pas d’impôts, ni sur les produits importés, ni sur les produits exportés, mais seulement sur les salaires et les bénéfices générés. Avec des emplois pour au total 27.000 personnes, et un chiffre d’affaires de 16,16 milliards de dollars, cette zone de libre commerce représente 8% du produit national brut du Panama. Annuellement 150.000 Latinos de Colombie, du Costa Rica, d’ Ecuador, de Haïti, du Venezuela, du Nicaragua, mais aussi des États-Unis, visitent ce grand « Supermarché », à la recherche de vêtements, de chaussures, d’appareils ménagers, de meubles, d’électronique, de cosmétiques et même de motos.

Et les Cubains sont également des clients appréciés. Fin octobre 2018 le Panama a assoupli l’accès au pays pour eux : les Cubains disposant d’une licence de travailleur indépendant (cuenta propria) ne doivent plus demander de visa pour le voyage. A leur arrivée, pour 20 dollars, ils peuvent acheter un visa valable pour 30 jours. Le Panama a probablement la zone de libre commerce la plus importante du continent, mais d’autres pays, comme la Guyane, Haïti, le Mexique et même la Russie, s’orientent vers le « tourisme d’achat ». Ces pays visent le phénomène croissant des Cubains qui viennent s’approvisionner à l’étranger.

En 2013 Cuba a assoupli la législation migratoire et, depuis lors, les Cubains peuvent librement quitter le pays et revenir, à condition d’être en possession du visa exigé par le pays de destination. Depuis lors, selon le Bureau National Cubain de Statistique (ONEI), 820.000 Cubains ont effectué un voyage à l’étranger. Tenant en compte l’offre limitée, et parfois le manque total de beaucoup de produits de consommation, il n’est pas étonnant que ces voyageurs remplissent leurs valises avec toute sorte d’articles de consommation, pour eux et leur famille.

Les règlements douaniers cubains décrivent en détail ce qu’une personne peut importer pour son usage personnel. Par exemple : la liste des produits autorisés comprend dix pantalons pour homme et dix pantalons pour femmes, 5 paires de chaussures, des produits de soins, etc..Le poids total autorisé est de 125 kg, dont les 30 premiers sont détaxés. Cuba a développé sa propre méthode pour la taxation des importations. On octroie à chaque produit une « valeur » avec une taxation qui y est liée. Pour un appareil d’air conditionné on paye 150 pesos cubains (6 dollars), pour un écran PC 50 pesos, une machine à café 15 pesos, etc.. La valeur totale autorisée est de 1.000 pesos. Si la même personne fait un deuxième voyage la même année, elle paye l’impôt sur les marchandises importées en devises (CUC). En tant que tel les taxes sont relativement faibles, mais le coût total, avec le ticket d’avion, le séjour et les achats à l’étranger est bien sur élevé. Il est donc « évident », bien qu’interdit, que l’on essaye de récupérer les frais en vendant les produits importés.

Mais cela représente plus que le voyageur individuel qui profite d’un voyage à l’étranger pour améliorer son confort domestique. Surtout les petits entrepreneurs ont des difficultés pour s’approvisionner sur le marché local. Pourtant les autorités ont fait d’énormes efforts pour améliorer l’offre d’outils et de matériaux de base, mais cela reste insuffisant. Et ceci a suscité un commerce alternatif  lucratif, mais partiellement illégal : on fait appel a des personnes privées pour importer des marchandises. Dans toute l’ Amérique Latine on les connaît sous les nom de « mulas » (mulets)

Les zones de libre commerce se jettent sur ce phénomène. Depuis que le président Trump a fermé l’ambassade à La Havane pour les demandes d’un visa pour les États-Unis,, les Cubains doivent s’adresser à l’ambassade nord-américaine en Guyane, un des rares pays où les Cubains peuvent voyager sans visa. Le Mexique a accueilli 69.105 Cubains durant la première moitié de 2018, soit 26.000 de plus qu’en 2017. Avec la nouvelle réglementation pour les visas, le Panama espère encore

augmenter le tourisme cubain d’achats. Manuel Girando, de Colón, plus de 40.000 Cubains ont visité le marché libre de Colón en 2017, et on espère atteindre 60.000 visiteurs en 2018. Pour lui le plus important c’est qu’ils achètent, séjournent quelques jours et dépensent de l’argent pour se loger et se nourrir. 

Le système des « mulas » a différents modes de fonctionnement. Le plus simple est celui décrit ci-dessus. Les Cubains réservent un voyage à l’étranger et achètent ce que la famille et les voisins ont commandé. Une fois rentrés ils revendent les marchandises. La majorité des Cubains opèrent ainsi occasionnellement et une seule fois comme « mula ». Mais ,il y a aussi des « mulas » professionnels. Ils récoltent des commandes à Cuba et vont ls acheter à l’étranger. Les frais du ticket d’avion et du séjour sont ventilés sur les commandes. Chaque « mula » y ajoute encore une commission.

Un autre moyen utilisé est l’envoi de colis à partir de l’étranger. Certains centres commerciaux ont installé des tables et des balances, où les Cubains peuvent distribuer leurs achats dans différentes boites, qui ne dépassent pas les poids autorisés pour un envoi par bateau ou courrier aérien. Pour éviter des problèmes pour les destinataires, les paquets sont envoyés à plusieurs personnes, en général des membres de la famille.

Beaucoup de centres offrent également une option pour l’ e-commerce, et envoient les marchandises achetées à Cuba. Ce sont surtout des Cubains qui vivent aux États-Unis qui voient là une alternative pour soutenir leurs familles à Cuba en objets de consommation au lieu d’argent. Une autre méthode d’envoi est de confier des paquets à des Cubains qui rentrent au pays. Ce sont de véritables « mulas », car ils ignorent ce qui se trouve dans les bagages remis, ni qui est le véritable destinataires.

Mais le système des « mulas » comprend des risques. Parfois ont trouve des messages de fausses firmes qui acceptent les commandes et les payements, mais dont les victimes attendent des marchandises qui n’arriveront jamais. Sur ce marché lucratif il y a parfois des firmes de transport qui ne disposent pas d’une licence d’importation à Cuba. La douane cubaine prévient également pour le transport de paquets dont on ignore le contenu. Dans ce cas il est clair que la marchandise est destinée à la vente à des tiers, ce qui est défendu. Cuba applique aussi une tolérance zéro pour les drogues et veut éviter que ces méthodes facilitent l’entrée de drogues au pays. La douane effectue par conséquent des contrôles très stricts. En 2018 on a intercepté 113 envois illégaux et saisi 3 tonnes de marchandises. La douane a aussi identifié 23 entreprises, la plupart nord-américaines, qui confient de façon illégale des marchandises à des voyageurs ou à des « mulas ».

Pourquoi ce contrôle sévère de l’importation et de la revente à Cuba? Les principaux secteurs de l’économie cubaine sont aux mains de l’état, et donc également les entreprises d’import/export. Il est interdit aux particuliers d’importer des marchandises et de les revendre. Le pays veut ainsi maintenir un contrôle des devises étrangères. la chute des prix du nickel, les importations réduites de pétrole bon marché du Venezuela, la réduction du tourisme nord-américain, ont augmenté le manque chronique de devises. Les autorités préfèrent les utiliser pour les achats prioritaires à l’étranger et pour les paiements de dettes. Ce n’est qu’ainsi que Cuba peut garantir la sécurité sociale et maintenir en fonctionnement les principaux secteurs économiques. Les autorités cubaines préfèrent que les Cubains dépensent leur argent à Cuba, et de préférence dans les magasins de l’état, afin que l’argent retourne à l’état. L’argent dépensé par le système des « mulas » disparaît à l’étranger et ne fait qu’enrichir les « mulas ». Et les sommes sont conséquentes. Selon m. Grimaldo, le chargé d’affaires de la zone de libre commerce de Colón au Panama, les citoyens cubains dépensent 100 millions de dollars par an pour leurs achats.. Les entreprises d’état cubaines s’approvisionnent aussi dans cette zone de libre commerce, selon lui à hauteur de 157 millions de dollars. En revendant ces produits aux citoyens cubains et aux petits entrepreneurs avec un surcoût (impôt) qui peut s’élever à 240%, l’autorité réalise une bonne affaire pour augmenter ses propres réserves.

Sources :

-http://www.cubadebate.cu/noticias/2017/11/30/aduana-de-cuba-responde-dudas-sobre-envios-postales-de-mensajeria-y-por-carga/#.W_WKFtThC91

-http://www.bbc.com:mundo/noticias-america-latina-43038889

-http://www.zonalibreinfo/zonalibreinfo.html

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