LES MÉDIAS SOCIAUX CUBAINS OFFLINE

LES MÉDIAS SOCIAUX CUBAINS OFFLINE

Julie Rausenberger – Septembre 2018

« Malgré les restrictions les Cubains sont incroyablement créatifs avec les nouvelles technologies ».

Malgré les progrès réalisés ces dernières années les connections à internet restent limitées à Cuba. Ceci a suscité un éventail de pratiques alternatives, uniques pour le paysage digital cubain, et qui méritent de s’y arrêter.  L’anthropologue flamande Julie Rausenberger (Université d’ Anvers) a fait des recherches à Cuba au sujet des technologies digitales dans la vie quotidienne à Cuba. Son objectif : trouver des réponses à des questions comme « Comment voit-on les révolutions digitales d’un point de vue cubain ? » et «  Que deviennent les technologies médiatiques une fois qu’elles connaissent une interprétation culturelle locale et qu’elles sont limitées par des limitations infra-structurelles.

Une connexion internet n’est pas simple à Cuba. Parce que internet n’est pas accessible et rapide comme en Belgique, les Cubains ont ainsi inventé le réseau (appelé aussi S-NET ou Streetnet), une sorte d’internet sans internet. Il relie les ordinateurs de maison à maison avec des câbles de plusieurs mètres de longueur, et crée ainsi de nouvelles communautés digitales au niveau local.

A l’origine il était surtout utilisé par des gamers pour jouer le jeu vidéo populaire DOTA (Defense of the Ancients), mais est actuellement utilisé pour participer à des forums de discussion, des programmes de chats, la vente de choses via des sites de recherche, etc.

Les Cubains trouvent les programmes de télévision un peu décevants ; il y a peu de canaux et la programmation est vieillotte et répétitive. La télé digitale « à la demande » n’est pas encore une pratique courante. Dès lors ils copient des films et des séries étrangères via El Paquete, une sorte de paquet digital, contenant environ 1 terabyte de matériaux médiatiques, et qui circulent dans l’île via des disques durs externes et des clés USB. On trouve également des magazines digitaux produits localement et indépendants, ainsi que des programmes TV locaux. El Paquete est très populaire et utilisé par pratiquement toute la population, jeunes et vieux.

Offrant la possibilité de copier les médias digitaux offline, il offre en même temps une solution pour l’internet lent et cher à Cuba (actuellement un dollar l’heure), ce qui freine l’enregistrement de vidéos, de documents ou de photos, ou l’updating d’applications.

Tant le réseau câblé (S-NET) que El paquete sont des « médias sociaux offline » pour les Cubains. Sur le réseau on trouve aussi des versions locales de Facebook, nommées « HabanaNet » et « Social Habana ». Chaque semaine circulent sur El Paquete des annonces et des photos d’événements qui sont largement discutés dans les cercles sociaux.

Pour l’accès à la S-NET il faut naturellement un ordinateur et des câbles, ce qui est encore un défi pour de nombreux Cubains. Pourtant on estime à 38.000 les habitants de La Havane qui l’utilisent. Ils payent 1 CUC par mois en tant que « contribution à l’entretien ». Le Paquete est diffusé par les paqueteros (vendeurs du Paquete) dans un point de vente ou distribué à domicile à moto. Il coûte 1 CUC pour un paquete complet, mais on trouve déjà des épisodes de votre série préférée ou un album CD à partir de 10 pesos cubains (environ 0,30 €). C’est moins cher et plus efficace que des donwloads via internet, toujours compliqués à Cuba.

Malgré le fait qu’il s’agit clairement de phénomènes commerciaux, le réseau et le paquete s’inscrivent aussi dans l’idéologie révolutionnaire et les pratiques culturelles où la solidarité reste centrale. Tout le monde ne paye pas pour el paquete, car souvent le contenu est échangé sur des réseaux informels des amis et de la famille.

L’utilisation, via Wi-Fi d’un hot spot internet coûte 1 CUC l’heure, mais est lent et trop cher pour beaucoup de Cubains. Ce sont les Cubains plus riches qui l’utilisent fréquemment et qui communiquent avec leur famille à l’étranger via imo (l’alternative cubaine pour Skype). Là aussi des solutions existent… Dans certains parcs publics, où se trouvent les accès au Wi-Fi, certains s’en sont faits un métier. Il y a des connections qui vendent illégalement le signal internet, moins cher pour les utilisateurs dans le parc.

A certains endroits (par exemple Centro Havana) on trouve maintenant des rues avec des réseaux Wi-Fi illégaux. Ils sont gérés par des voisins téméraires qui ont placé sur leur toits un appareillage de nanotechnologie, et captent ainsi les, signaux du Parc Wi-Fi le plus proche, et le diffusent dans leur rue. C’est un investissement interessant qui rapporte rapidement le provider.

Les touristes achètent souvent des cartes internet à 1 CUC (nécessaires pour l’accès à internet). Ils peuvent ainsi éviter les longues files aux points de vente ETECSA, et accéder plus rapidement online. Durant mes travaux ethnographiques à Cuba, ETECSA, l’entreprise de télécommunications, développait le « Nauta hogar » (internet à la maison), et des services internet mobiles (service 3G).

Une prochaine phase de l’étude devra démontrer comment les développements de pratiques digitales influencent le peuple cubain. B@��v��

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